Google a présenté cette semaine un outil capable d’écrire des articles. Cette nouvelle a créé de vives inquiétudes dans le monde de la presse. Malgré les propos « rassurants » de Google qui qualifie cette nouvelle technologie d’aide à l’écriture, de nombreuses questions se posent. Genesis va-t-il, à terme, remplacer le travail des rédacteurs ? Qu’en est-il du droit d’auteur des producteurs de contenus ? Et plus largement comment l’IA et le journalisme peuvent-ils faire bon ménage ?
Qu’est-ce que Genesis, le nouvel outil de Google basé sur l’intelligence artificielle ?
Cette nouvelle technologie n’est pas encore à disposition du grand public. Une première présentation a été faite auprès de plusieurs organes de presse américains, dont le New-York Times et le Washington Post. Genesis écrirait des articles à l’aide de l’IA générative en reproduisant le style journaliste et en s’appuyant sur des sources primaires. Il serait capable également de suggérer des titres, d’écrire des pitchs, et d’effectuer des veilles journalistiques.
Les propos rassurants de Google
La démonstration de Genesis a été faite le jeudi 20 juillet 2023. Selon Jenn Crider, un porte-parole de Google, l’« objectif est de donner aux journalistes le choix d’utiliser ces technologies émergentes d’une manière qui améliore leur travail et leur productivité ». Il ajoute : « Ces outils ne sont pas destinés à, et ne peuvent pas, remplacer le rôle essentiel que jouent les journalistes dans le reportage, la création et la vérification des faits de leurs articles ».
OpenAI, l’entreprise de Sam Altman, a d’ores et déjà passé un accord pour disposer des archives de l’agence Associated Press en échange d’un accès son expertise en matière d’IA. Genesis, qui n’est qu’un développement de l’AI concernant la presse, est source d’incertitudes pour les rédactions. Entre l’aide à l’écriture et l’écriture automatique de l’AI, la frontière reste floue.
Quand l’IA bouscule le journalisme
Des suppressions d’emplois
En mars 2023, le groupe de presse Alex Springer a supprimé des centaines d’emplois de rédacteurs, qui, à terme seront remplacés par l’IA. Le patron du groupe Mathias Döpfner a déclaré : « Des outils comme l’agent conversationnel ChatGPT pourraient améliorer le travail de journaliste indépendant, ou même le remplacer ». Les postes visés par le plan social sont ceux qui touchent la mise en page, la relecture et la simple rédaction. Dans de nombreuses rédactions dont celles d’Euronews ou du Guardian des mesures similaires sont en cours. Ces postes étaient pourtant des instances de formation pour les jeunes journalistes.
Vers une redéfinition du travail journalistique
L’outil Genesis de Google est présenté comme un « assistant pour les journalistes ». Libérés des taches les plus rébarbatives, ils pourraient alors se concentrer davantage vers les investigations, les scoops, la vérification des informations et les éditoriaux. Cependant, l’éclatement des médias avait déjà impliqué une baisse des revenus pour la presse et, en particulier, pour le journalisme d’investigation.
Déjà, en 2018, Gerard Ryle, directeur de ICIJ (Consortium international de journalistes d’investigation) signalait : « Le journalisme se bat pour sa survie. Il est en train de mourir (…) les entreprises taillent dans leurs coûts, et d’abord dans l’investigation car cela coûte cher ». Les gains de productivité apportés par Genesis permettront-ils de réorienter les crédits vers l’investigation ? Pas sûr.
Vers un journalisme répétitif
La plupart des articles publiés sur l’apparition de Genesis se répètent, tournant autour de trois informations :
- présentation à la presse de l’outil
- brève description des capacités de Genesis
- propos rassurants de Google
Il y a pourtant matière à investigation. Quel journaliste a fait une véritable enquête sur Genesis ? Quels sont les enjeux financiers d’une telle technologie ? Fondé sur des algorithmes, il est légitime de craindre que l’utilisation massive de l’IA dans le journalisme conduise vers une uniformité des informations. Pire, l’utilisation de ce type d’outils automatiques risque d’accélérer la diffusion de fake news contribuant ainsi à une perte de crédibilité de la presse.
Un casse-tête juridique
Une avalanche de questions
Quelles sont les règles de propriétés intellectuelles qui s’appliqueront aux productions de Genesis ? Les données dont se nourrit l’IA de Genesis sont-elles protégées ou en libre accès ? En définitive, le puissant machine learning ne fait que fouiller dans les archives du web pour élaborer ses productions. Ces archives (images, vidéos, articles) sont des œuvres humaines a priori soumises au droit d’auteur.
À ces question complexes, qui ne sont pas encore tranchées, s’ajoute celle de la protection des œuvres produites par l’Intelligence Artificielle. Un article de Genesis pourra-t-il bénéficier de la protection liée au droit d’auteur ?
Les premières réponses
Aux Etats-Unis, devant les plaintes d’un narrateur de livre audio, Apple a décidé « d’arrêter immédiatement toute utilisation de fichiers à des fins d’apprentissage automatique ». En Europe, un premier cadre réglementaire voit le jour et présente comme un risque élevé le fait de « publier des résumés des données protégées par le droit d’auteur utilisées pour la formation de l’IA ».
Parallèlement aux efforts pour réguler l’utilisation de l’IA, de nombreuses applications ( dont « Have I been trained ? ») ont pour objet de protéger les œuvres soumises au copyright contre le « web scrapping » de l’IA générative.
Les déclinaisons des usages de l’IA, dont Genesis est un parfait exemple, provoquent fascination et craintes. Les patrons de presse qui ont assisté à la démonstration privée de Genesis ont qualifié l’outil de « perturbant ». Le nom de genèse choisi par les inventeurs de cette technologie homonyme, signifie commencement. Genesis marque-t-il l’origine d’un nouveau journalisme fondé sur l’IA ? Pour Albert Londres, le métier consistait simplement à « porter la plume dans la plaie ». Dans cet esprit le journalisme, aidé par l’IA ou non, a encore de beaux jours devant lui.
