La loi Delaporte-Vojetta régulant l’activité des influenceurs avait été adoptée à l’unanimité des parlementaires participant au vote. Elle a été promulguée le 9 juin 2023 et elle sera applicable dès que les décrets d’applications correspondants seront à leur tour publiés au Journal Officiel.
Une proposition de loi transpartisane pour lutter contre les « influvoleurs »
Une loi qui a fait l’unanimité au Parlement
Le projet législatif a été porté par deux députés de bords opposés, le socialiste Arthur Delaporte et le macroniste Stéphane Vojetta. Le premier est un trentenaire élu de la NUPES, le second un quadragénaire apparenté Renaissance, tous deux se sont trouvés d’accord pour définir un cadre régulant l’activité controversée des influenceurs. Les députés ont voté le texte à l’unanimité des 194 élus ayant participé au vote, puis les sénateurs ont été 342 sur 342 votants à l’adopter. Un tel vote sans opposition est fort rare dans le débat politique actuel souvent exacerbé.
=> Source Légifrance : LOI n° 2023-451 du 9 juin 2023
Une réponse à des dérives largement dénoncées
La monétisation des placements de produits par les influenceurs avait d’abord été artisanale, avec des échanges de cadeaux contre une citation. La professionnalisation des influenceurs, passés en quelques années du statut d’internautes plus écoutés que d’autres à celui de vedettes suivies par d’innombrables followers, a fait émerger des modèles de rémunérations beaucoup plus directes, en fonction du chiffre d’affaires généré. L’appât du gain a conduit les moins scrupuleux des influenceurs à préconiser des produits à l’efficacité non démontrée voire même de faux placements financiers. Le rappeur Booba a créé le nélogisme « influvoleur » pour désigner de tels comportements et le ministre de l’économie Bruno Lemaire avait lancé une consultation publique à ce sujet fin 2022.
Les principales dispositions de la nouvelle loi sur les influenceurs
Qu’est-ce qu’un influenceur ? Définition, statut et cadre juridique
Le dictionnaire Le Petit Robert définit l’influenceur comme une personne influençant le comportement ou la consommation des membres de sa communauté. La nouvelle loi précise plusieurs éléments importants. L’influenceur peut être une personne physique ou une personne morale, et la loi inclut donc les sociétés dans cette définition. L’influence doit s’exercer par voie électronique, ce qui inclut tous les réseaux sociaux mais exclut les médias classiques (journaux, livres, radio). Enfin l’influence doit être exercée à titre onéreux, ce qui exclut tout ce qui est propagande bénévole, par exemple dans le domaine politique ou dans le secteur associatif.
Une obligation de clarté
L’influenceur devra désormais annoncer la couleur, puisque les vidéos promotionnelles devront comporter l’une des mentions « Publicité » ou « Collaboration commerciale » affichée de façon lisible et constante tout au long du visionnage. L’internaute ne pourra ainsi plus ignorer que le conseil qu’il reçoit est loin d’être désintéressé. L’obligation s’applique a priori même dans le cadre des échanges cadeaux contre mention, ce qui fait que l’influenceur sera désormais plus régulé que le journaliste, qui reste libre de parler d’un hôtel dans lequel il a été invité sans expliciter la faveur dont il a bénéficié avant la rédaction de son papier !
Une loi implicitement extraterritoriale
De nombreux influenceurs à succès se sont installés aux Émirats Arabes Unis, loin de la lourde fiscalité française et des contraignantes régulations européennes. La nouvelle loi, un peu comme le règlement européen sur la protection des données (RGPD), cible l’influenceur du moment que l’influencé est en France. L’influenceur installé en dehors de l’Union Européenne ou des pays assimilés (Suisse, Norvège) devra avoir un représentant légal et une assurance responsabilité civile. La législation ne permet ainsi plus de s’abriter derrière l’éloignement géographique pour échapper à sa responsabilité. En revanche l’influenceur pourra toujours profiter de la fiscalité avantageuse de son pays de résidence.
Des restrictions aux produits et services promus
La loi restreint les domaines d’activité publicitaire ouverts aux influenceurs, en introduisant les mêmes limites que celles déjà applicables à la publicité classique. Il ne sera ainsi plus possible de promouvoir des opérations de chirurgie esthétique ni de vanter des produits contenant de la nicotine. L’influenceur ne pourra plus vanter certains produits financiers particulièrement risqués, comme les cryptomonnaies, ni se mettre en scène avec des animaux sauvages, sauf s’ils sont légalement détenus (par exemple par un zoo). La promotion des jeux d’argent reste autorisée, mais à condition d’être restreinte aux majeurs. Enfin, en cas de vente de produits (souvent baptisée dropshipping ou livraison directe) l’influenceur devra assumer la même responsabilité qu’un commerçant.
De lourdes sanctions pour les contrevenants
Le non-respect de ces diverses obligations pourra déboucher sur des amendes allant jusqu’à 300 000 euros et/ou des peines de prison allant jusqu’à deux ans d’emprisonnement. L’importance des amendes a certainement de quoi dissuader les indélicats, tandis qu’on peut supposer que la prison ne sera effectivement prononcée que lors des violations les plus graves.
Une moralisation qui servira sans doute beaucoup d’influenceurs
150 000 influenceurs dont beaucoup n’ont rien à se reprocher
Une tribune signée de 150 créateurs de contenus avait été publiée avant l’examen de la loi par le Parlement. Le texte mettait en avant le chiffre de 150 000 influenceurs afin de relativiser les dérives de quelques centaines d’influvoleurs épinglés par la justice ou objets de critiques. Il s’agissait bien évidemment d’une défense corporatiste, mais le fond en est pertinent. Beaucoup d’influenceurs n’ont rien à se reprocher et sans doute pas grand-chose à craindre d’une loi qui ne les obligera en pratique qu’à expliciter leurs partenariats que de toute façon la plupart de leurs followers subodoraient.
Un cadre rassurant pour les influenceurs comme pour les internautes
La nouvelle loi a l’avantage de mettre un terme à l’époque du n’importe quoi. Les contenus à caractère publicitaire des influenceurs deviendront désormais l’équivalent des publi-rédactionnels de la presse écrite, avec l’avantage d’un ton plus libre puisque les influenceurs sont en général moins encadrés dans la façon dont ils présentent le produit que les rédacteurs des suppléments encartés dans les journaux. Les restrictions sur le dropshipping et l’interdiction des publicités pour les sujets les plus problématiques vont écrémer les contenus proposés. On peut supposer que cette loi peut permettre l’émergence d’un écosystème plus vertueux, associant un contenu qualitatif à une collaboration assumée aux yeux de tous.